Lien de l’article : Le Parisien – société – Violences conjugales
La notion de « contrôle coercitif » désigne les comportements qui mènent à des situations d’emprise dans le couple. Un rapport parlementaire remis au ministre de la Justice ce lundi préconise de prendre en compte le « contrôle coercitif » pour lutter contre les violences conjugales.
Si chaque féminicide est unique et raconte une histoire différente, les spécialistes le répètent : c’est souvent le même scénario qui se joue. Un conjoint en situation d’ascendance, et qui impose à sa victime de quitter son travail, de s’éloigner de ses proches ou de ne plus porter certains vêtements par exemple. Dans bien des cas, ces comportements préparent le terrain de la violence physique, mais à eux seuls, ne suffisent pas à apporter une réponse judiciaire.
Cela pourrait bientôt changer. C’est ce que proposent la députée Renaissance Émilie Chandler et la sénatrice UDI Dominique Vérien. Les deux élues ont remis ce lundi au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, un rapport parlementaire de 59 propositions pour lutter contre les violences dans le couple. Parmi ces suggestions figure la possibilité de faire reconnaître la notion de « contrôle coercitif » pour l’intégrer à terme dans les procédures de signalement de violences conjugales. Une ambition que partage l’association Women for Women France, qui va jusqu’à affirmer la nécessité d’intégrer le « contrôle coercitif » dans le Code pénal.
Mais que désigne cette notion ? « Il s’agit des stratégies mises en place par l’agresseur à l’égard de la victime pour la rendre dépendante. Les pratiques sont très diverses, il peut s’agir du fait d’exiger que la personne quitte son travail, qu’elle ne voit plus ses amis, ou lui faire des reproches sans arrêt pour détruire sa confiance en soi », explique Sarah McGrath, présidente de l’association Women for Women France. D’après l’association, cela peut aussi consister à « abuser financièrement de la victime, en lui accordant, par exemple, qu’une allocation dérisoire » ou à la « menacer de révéler ou de publier des informations privées ».
Pour Sarah McGrath, le contrôle coercitif est à dissocier de la notion d’emprise. « L’emprise désigne la réaction de la victime face à ces comportements, alors que le contrôle coercitif désigne les comportements eux-mêmes. Si on ne parle que d’emprise et pas des mécanismes de violence, on fait reposer la charge sur la victime », souligne-t-elle.
« En droit pénal français, on applique le principe d’interprétation stricte. Cela signifie que le juge ne peut ni modifier le sens d’un texte ni en étendre le domaine. Pour introduire la notion de contrôle coercitif dans le droit pénal, il faudrait donc le définir précisément. Or, cela me paraît compliqué de lister tout ce qui pourrait entrer dans le cadre du contrôle coercitif », s’interroge également l’avocate Emmanuelle Haziza.
Si Sarah Mc Grath n’hésite pas à employer le terme de « révolution » pour désigner l’introduction éventuelle du « contrôle coercitif » dans la législation, d’autres se montrent plus prudents. C’est notamment le cas de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. « J’ai peur que l’on invente quelque chose qui soit plus flou que le harcèlement moral qui existe déjà dans le Code pénal. Il n’y a pas de baguette magique. On ne fera pas baisser les violences dans le couple si on n’applique pas mieux les lois qui existent déjà », plaide Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire.
Malgré les possibles obstacles juridiques, Isabelle Rome, ministre déléguée en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes, est très attachée à cette notion. « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de l’inscrire à tout prix dans la loi, mais de mieux protéger les victimes du passage à l’acte violent. Pour cela, il faut s’intéresser au contrôle coercitif et l’inclure dans les formations », défend-elle.
À l’étranger, cette notion est déjà intégrée à la législation dans certains pays comme l’Écosse, l’Angleterre, la Belgique ou encore le Danemark.
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